lundi 12 janvier 2015

722. Choses d'un rassemblement

- Ce n'est qu'hier soir, bien au chaud chez moi et prise d'une soudaine crise de tremblements, que j'ai réalisé (et il n'y a pas de quoi se vanter) à quel point j'avais eu peur toute la journée -- peur que quelqu'un d'un bord ou d'un autre décide de faire un carton pour l'occasion, histoire de prouver qui est le plus malin... peur de la foule à qui pas grand'chose suffit pour perdre la mesure… peur que ce soit ridicule, pompeux, pas à la hauteur de l'occasion… peur d'être coincée au milieu de ces gens rassemblés, entassés jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de place dans les rues… peur que ce soit récupéré, détourné, faussé…

- Le silence de la rue : pas un silence de mort, non, une immense rumeur de conversations à mi-voix, quelques Marseillaises calmes, quelques salves d'applaudissements roulant d'un bout à l'autre de la place, de la ville -- pas de slogans, pas de chants, pas de cris, pas d'appels, pas de joueurs de bongo/guitare/trompette et autres habitudes de manif'. J'entendais mon voisin de droite respirer, au milieu d'1,5 million de personnes.

- Ce que doivent vivre les habitants d'Alep, du Nigeria, d'Ukraine, et tous les autres, au quotidien.

- Paris, les Parisiens : parfois, parfois… ils gagnent à être connus.

- Les deux étudiantes en gynéco, à côté de moi, qui discutaient prolapsus et rééducation du périnée en attendant de pouvoir avancer de quelques centimètres.

- La chair de poule, de la tête aux pieds, en marchant vers la station Strasbourg St Denis, où venaient s'agglomérer les grappes humaines, les unes après les autres, sans plus pouvoir avancer, étendant les tentacules de la foule, bloquant les voitures, faisant petit à petit monter la marée, jusqu'à Bonne Nouvelle, jusqu'à Grands Boulevards, jusqu'à… où ?

- 50 mètres maximum entre la boutique de farces & attrapes "Les Déguisements de Paris" et le restaurant "Le Pachyderme" : 2h pour relier la première au second. Et au bout : la statue de la République, nette sur le ciel pâle.

- Je suis superficielle, mal renseignée et peu douée pour l'analyse ; j'ai eu énormément de mal à écrire ce post. Ce qui s'est passé entre le 7 et le 9 janvier 2015 m'a effrayée, choquée et très profondément attristée ; j'aimerais pouvoir dire que cela m'a changée, que "rien ne sera plus pareil" et autres refrains entendus ici et là. Mais rien qu'à l'écrire, cela sonne faux et creux. Alors voici un lien -- de tous les articles, opinions et éditoriaux que j'ai lus cette semaine, c'est celui qui se rapproche le plus de ce que je pense en ce moment.

Tout ce que je souhaite à présent, c'est qu'arrivera un jour où plus personne, ici-bas, n'aura à dire, dans la salle d'attente d'un hôpital, le téléphone coincé entre le menton et l'épaule : "non, non, il y a une fusillade par là-bas, je vais prendre le taxi, pas le métro".

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